Cas d'étude
Inventaire et détection des élasmobranches à La Réunion
L’archipel des Mascareignes constitue l’un des principaux hotspots de biodiversité de l’Océan Indien. Les élasmobranches, poissons cartilagineux tels que les raies et requins, restent cependant peu connus, ce qui limite la mise en place d’actions de conservation. Afin de compléter les données taxonomiques issues des inventaires classiques de l’Observatoire des Elasmobranches de l’Archipel des Mascareignes (MAEO), l’association ARBRE (Agence de Recherche pour la Biodiversité à La Réunion) a fait appel à ARGALY pour obtenir des informations les plus exhaustives possibles grâce à la méthode ADN environnemental.
Mission d'ARGALY :
Optimiser un protocole non invasif, reproductible et standardisé pour le suivi et la veille environnementale des requins et des raies autour de La Réunion.
Dans un premier temps, une étude pilote a été menée afin de définir une stratégie d’analyse optimale :
Méthodologie d'échantillonnage
Quelle zone marine échantillonner pour maximiser la détection des élasmobranches ?
Quel volume d’eau de mer filtrer ?
Méthodologie d'analyse moléculaire
Quelles amorces utiliser pour l’identification des élasmobranches par metabarcoding ?
Développement d’amorces spécifiques pour la détection d’espèces par qPCR.
Pour répondre à ces questions techniques, des échantillons d'eau et de sédiments ont été prélevés sur trois stations autour de l'île de La Réunion. Les sédiments ont été récoltés sur les fonds marins, et les filtrations d'eau ont été effectuées avec des capsules Waterra 0.45µm, en surface et dans la colonne d'eau. Des échantillons de tissus de requins ont servi de contrôles positifs.
Prélèvements aquatiques en surface (à gauche) et dans la colonne d'eau (à droite).
Après extraction de l'ADN contenu dans les échantillons, trois marqueurs génétiques des élasmobranches ont été testés pour l'amplification PCR et l'inventaire par metabarcoding : Shark_miniCOI (Fields et al. 2015), Elas01 (Miya et al. 2015) et Elas02 (Taberlet et al. 2018). En parallèle, six couples d'amorces spécifiques ont été conçus ou optimisés in silico puis testés in vitro pour la détection par qPCR de quatre espèces de requins et deux espèces de raies, choisies selon leur statut sur la liste rouge des espèces menacées établie par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Résultats de l'étude pilote
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Les sédiments se sont avérés non appropriés en tant que matrice d'échantillonnage pour la détection des élasmobranches.
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La filtration de 50L d'eau de surface combinée à 50L d'eau de la colonne semble permettre la détection de taxons complémentaires par rapport à la filtration en surface seulement.
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Une étude multi-marqueurs est indispensable pour détecter les raies et requins. Elas01 détecte une grande diversité de poissons osseux et de cétacés, ainsi que quelques espèces de raies et de requins difficilement observables telles que le requin à pointe blanche de récif et le requin sagrin. Elas02 permet d'obtenir la plus grande richesse en taxons d'intérêt. Shark_miniCOI a montré un faible pouvoir de détection des élasmobranches et n'a pas été sélectionné pour l'inventaire global.
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Les amorces de qPCR conçues se sont avérées fonctionnelles pour la détection ciblée des espèces d'intérêt : requin tigre (Galeocerdo cuvier), requin nourrice fauve (Nebrius ferrugineus), requin marteau halicorne (Sphyrna lewini), requin bouledogue (Carcharhinus leucas), raie guitare géante (Rhynchobatus djiddensis), raie pastenague tachetée (Taeniura meyeni).
Ces résultats préliminaires ont permis de réaliser dans un second temps l'inventaire global des élasmobranches sur 21 stations réparties autour de l'île. L'objectif était alors d'entrevoir le potentiel de la technologie ADNe pour cartographier l'ensemble de l'ichtyofaune en comparaison avec des données d'inventaire classique, et de comparer les méthodes metabarcoding et qPCR pour l'identification des six espèces cibles. Au total, 72 filtrations aquatiques ont été réalisées sur trois saisons (mars, juin, septembre). Les analyses metabarcoding ont été réalisées avec la combinaison des marqueurs Elas01 et Elas02.
Localisations des stations d'échantillonnage pour les analyses taxonomiques par ADNe autour de La Réunion.
Résultats de l'inventaire global
Les données issues du séquençage ont permis de dresser, par analyse bioinformatique, la liste des taxons identifiés pour chaque échantillon avec le nombre de séquences associées. Les cartographies ci-dessous représentent les taxons Poissons et Elasmobranches identifiés par les marqueurs Elas01 et Elas02 selon la localisation des stations :
Famille de poissons identifiées par metabarcoding ADNe autour de La Réunion.
Taxons d'élasmobranches détectés par metabarcoding ADNe autour de La Réunion. La taille des cercles est proportionnelle au nombre de séquences identifiées.
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Elas01 permet d'apprécier la diversité ichtyologique avec la détection de 38 familles de poissons et 114 espèces. Ce marqueur a également permis d'identifier six espèces de raies et quatre espèces de requins.
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Elas02 détecte également un grand nombre de familles de poissons osseux (21 familles avec 64 espèces) ainsi qu'un total de quinze espèces d'élasmobranches (neuf espèces de raies et six espèces de requins).
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Il n'existe pas de différence significative entre les performances de détection des espèces cibles par metabarcoding et qPCR, les données obtenues par les deux méthodes sont cohérentes.
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Les inventaires par observation directe et par ADNe conduisent à des résultats similaires pour les espèces communes telles que les raies aigles, raies pastenagues à tâches noires et raies fouets. En revanche, les deux méthodes s'avèrent complémentaires concernant les espèces moins fréquentes dans les eaux réunionnaises.
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La répartition des élasmobranches autour de l'île semble varier selon l'orientation est/ouest et les saisons. Par exemple, les raies fouet ont été davantage détectées entre janvier et mars, et la présence des raies guitares a été plus importante en hiver austral malgré une détection tout au long de l'année.
Conclusion de l'étude
L'outil ADNe confirme et complète les données issues du programme MAEO : la majorité des espèces observées visuellement sont détectées par ADNe et certaines espèces non visibles par les caméras ou lors des plongées d’observation sont identifiées grâce à l'ADNe. Le projet, en collaboration avec ARGALY, a ainsi permis d’apporter une expertise ADNe pour le suivi des raies et des requins à La Réunion afin de participer à une meilleure connaissance de la biodiversité des élasmobranches de l’archipel des Mascareignes, et ouvre donc la voie pour la mise en place d’actions de préservation.
© RodFishingClub
© G.Rambert
© C. Shilling
Voir le rapport complet du projet IRRAE
(Inventaire des Requins et Raies autour de La Réunion à partir d’analyses d’ADN Environnemental avec une Approche Ecosystémique)